Sur les réseaux sociaux, des parents alertent sur les traumatismes psychologiques de leurs enfants, exposés (parfois malgré eux) à ce personnage issu d'un jeu vidéo d'horreur.
Par Alexandra Segond Publié le
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Un sourire bonhomme qui finit par dévoiler des dents bien acérées, des longs bras pelucheux et des chansons d’apparence enfantine qui parlent en réalité de violence ou de meurtre («Fais-moi un câlin / Mes dents vont s’enfoncer si profondément dans tes poumons» ; «Veux-tu savoir jusqu’où je suis prêt à aller pour te trouver et commencer à dévorer ton âme»…).
Voici Huggy Wuggy, une créature colorée tout droit tirée du jeu vidéo d’horreurPoppy Playtime, sorti en 2021. Ces derniers temps, ce monstre aux faux airs de peluche est devenu un véritable phénomène sur les réseaux sociaux, TikTok en tête, et dans les cours de récré.
Le principe du jeu vidéo Poppy Playtime
Dans ce jeu vidéo d'aventure et d'horreur, vous incarnez le rôle d'un ancien employé d'une usine fabriquant des jouets et des poupées très populaires auprès des enfants. Vous devez retourner à l'usine lorsque vous recevez une lettre et une cassette vidéo d'un employé disparu il y a 10 ans. Objectif : découvrir les secrets qui se cachent derrière cette mystérieuse disparition...
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Mais derrière l’effet de mode, les conséquences psychologiques sont nombreuses pour les enfants : agressivité, anxiété, troubles du sommeil… Des parentstirent la sonnette d’alarme et appellent à la vigilance.
«Mon fils a peur de se déplacer seul dans la maison»
Le petit François, six ans, fait partie des enfants traumatisés après avoir été confrontés à Huggy Wuggy. En janvier dernier, avec une amie de son âge, ils sont tombés sur une vidéo du monstre bleu.
«Cette vidéo montrait le personnage qui avançait dans un genre de couloir sombre, c’était vraiment effrayant», raconte à actu.fr Virginie, la maman de François. Elle reconnaît être elle-même «gênée» parHuggy Wuggy, tiré d’un jeu vidéo «vraiment très glauque à la base.»
Ça ne devrait pas arriver jusqu’aux petits enfants. C'est comme si on m’avait vendu, enfant, la poupée de l’exorciste ou de Freddy.
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Cette vidéo marque profondément les deux enfants, qui en font des cauchemars. Mais pas que : François n’arrête pas de parler de Huggy Wuggy et a peur de se déplacer seul à la maison. Même chose pour son amie, «quin’a plus voulu dormir seule pendant de nombreuses semaines».
Les choses se tassent par la suite. Jusqu’à ce que François, qui n’a pas accès à YouTube sans l’accord de sa mère, retombe sur d’autres vidéos et des publicités surHuggy Wuggy. «Il a recommencé à en parler sans arrêt et à le dessiner», confie cette habitante de Bastia (Corse).

Un phénomène incontournable
Le problème, c’est que le phénomène dépasse désormais les frontières des médias et d’Internet. Huggy Wuggy prend la forme d’unepeluche, d’un porte-clés, s’affiche en effigie de vêtements, trône sur les gâteaux d’anniversaire et s’invite mêmedans les coloriages pour enfants.
Pas plus tard que la semaine dernière, à l’aire de jeux d’un fast-food,François et une cousine du même âge croisent la route d’un petit garçon du même âge. «Il avait une peluche plus grande que lui. La fille de ma cousine s’est mise à hurler»,reprend Virginie auprès d’actu.fr, contrainte, avec sa famille, à quitter les lieux.
Il y avait un monsieur avec son fils qui était hors de lui, car son petit garçon avait été traumatisé comme François. On a discuté et il m’a raconté à peu près la même histoire que la mienne. C'est là que je me suis rendue compte qu’ils allaient trop loin.
Sans connaître le jeu vidéo, difficile de passer à côté.Même les YouTubeurs s’emparent du sujet et se mettent en scène en train de jouer à Poppy Playtime pour profiter de l’effet de mode.
C’est le cas par exemple de Locklear (1,46 million d’abonnés) ou de Furious Jumper (4,16 millions d’abonnés), avec leurs vidéos respectivement intitulées «LA PEUR DE MA VIE (Poppy Playtime)» et «N’ALLEZ JAMAIS dans cette USINE DE JOUETS.»
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Terreur nocturne, cauchemars, anxiété…
Plusieurs psychologues ont, depuis, pris la parole pour dénoncer les conséquences de cette exposition des enfants à Huggy Wuggy. Parmi ces spécialistes, la neuropsychologue Lizette Anguiano, installée en Belgique.
Début avril, sur Facebook, à la suite du passage à son cabinet de plusieurs enfants, de 7 à 12 ans, traumatisés, elle s’est fendue d’un long message à destination des parents. Une initiative personnelle qu’elle détaille auprès d’actu.fr.
«J’ai vu de plus en plus d’enfants en consultation neuropsychologique qui m’ont parlé de Huggy Wuggy, ou il revenait régulièrement sous forme de dessin ou de pâte à modeler. Le personnage occupait vraiment leurs pensées», raconte la spécialiste.
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Chez d’autres enfants qui disaient avoir très peur, faire des cauchemars parfois très violents («ils se faisaient attaquer, parfois avec leur famille»), avoir du mal à dormir sans veilleuse ou qui avaient changé de comportement, quand Lizette Anguiano évoque Huggy Wuggy, les langues se délient.
J'observe des perturbations émotionnelles : des enfants qui deviennent plus irritables, plus anxieux, ont une peur irrationnelle. Certains sont plus hostiles aussi envers les autres, parfois jusqu'à la confrontation.
«C’est un personnage créé pour faire peur»
Pas besoin forcément d’avoir été confronté à Huggy Wuggy. Après avoir entendu des camarades raconter les vidéos pendant la récréation, chanter les chansons du jeu vidéo aux paroles parfois très violentes ou apporter leurs peluches à l’effigie du personnage, certains enfants laissent leur imagination travailler.
«C’est d’autant plus trompeur pour l’enfant : Huggy Wuggy prend l’aspect d’un dessin animé, mais c’est un personnage d’horreur, créé pour faire peur», explique à actu.fr Pascaline Bonnet, psychologue clinicienne installée à Marseille. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de Poppy Playtime qui se joue à la première personne.
Mais au regard de sa popularité au-delà des médias, c’est encore plus dur de faire le tri. «Évidemment, ça pose la question des techniques commerciales utilisées pour ce personnage, qui ne touchent pas le bon public», continue-t-elle, ajoutant qu’un «enfant n’a pas le même discernement qu’un adulte.»
Ce n’est pas une vidéo pour les enfants de son âge, car ils ne font pas encore la différence entre fiction et réalité. Les grands savent que ce n’est pas réel. En grandissant, il comprendra mieux qu’il n’y avait pas de raison d’avoir peur car ça n’existe pas.
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«Lorsqu’on raconte l’histoire du Grand méchant loup, le parent est là pour introduire l’histoire, la moduler. Et le parent est une figure connue», poursuit Pascaline Bonnet. «L’adulte rassure, sécurise. Là, l’enfant est seul devant son écran face à Huggy Wuggy», complèteLizette Anguiano.
En parler pour extérioriser
Le dialogue apparaît comme une arme indispensable pour calmer les angoisses des enfants.«Robin est rentré de l’école hier en me parlant de ce fameux Huggy Wuggy. Il ne joue à aucun jeu vidéo, mais il entend des enfants en parler, qui le dessinent…», illustre Florence, dans un message posté sur Facebook.
Par chance, poursuit cettemaman «fatiguée et inquiète», «c’est un enfant qui se confie et qui me parle.»Même chose pour Virginie, qui reconnaît que François et elle «parlent beaucoup.»«Je lui dis que c’est normal qu’il ait eu peur, car la vidéo qu’il a vue est très effrayante», explique-t-elle.
Sa stratégie : ne pas minimiser la peur, mais l’accompagner, lui faire comprendre pourquoi c’est légitime et le rassurer en même temps sur l’aspect fictif du personnage.Il est très important que l’enfant admette sa peur. Mais il peut ne pas y arriver seul.
«C’est là que l’adulte rentre en jeu, car l’enfant cherche une figure d’autorité, sécurisante, pour l’écouter, l’accompagner, le protéger», martèleLizette Anguiano. L’une des solutions, c’est l’échange, la communication.
Ça peut prendre du temps, le temps que les enfants digèrent ce à quoi ils ont été confrontés.
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Interdit dans les écoles
Plus de deux mois après son intervention sur les réseaux sociaux, Lizette Anguiano constate que son message est toujours partagé et commenté, en Belgique, en France et parfois ailleurs. «Preuve qu’on n’a pas fini d’entendre parler de ce Huggy Wuggy», souffle la neuropsychologue.
Certaines écoles ont choisi de prendre les devants. À Mouscron (Belgique), près de la frontière, l’école fondamentale Sainte-Marie a décidé de bannir Huggy Wuggy des cours de récré.
Contactée par actu.fr, la directrice de l’établissement n’a pas souhaité s’exprimer à ce sujet.
L’éditeur du jeu vidéo, MOB Games, n’a pas encore répondu à nos sollicitations.
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